LQJ-274

L a vérité des nombres est brutale : si les émissions de CO 2 en provenance du seul secteur de l’énergie avaient stagné entre 2014 et 2016, elles ont à nou- veau crû ces deux dernières années, atteignant 33,1 giga- tonnes en 2018 selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Et le samedi 11 mai, l’observatoire de Mauna Loa à Hawaï a enregistré une concentration de 415,26 ppm (parts par million) de CO 2 dans l’atmosphère terrestre. C’est la première fois que la barre des 415 ppm était franchie. « Si nous voulons respecter l’objectif d’une élé- vation maximale de la température moyenne de 2°C, nous aurons consommé notre “budget carbone” fin 2030 », détaille Grégoire Léonard, chargé de cours au départe- ment Chemical Engineering de la faculté des Sciences appliquées. Ce qui signifie que si la tendance actuelle se confirme, nous ne pourrons plus émettre le moindre kilo de CO 2 ou gaz à effet de serre équivalent à partir de cette date. Peu de chances qu’on y parvienne ! Il va donc falloir, en plus de la chasse au gaspillage et du développement des énergies non fossiles, traiter le CO 2 , celui qu’on va continuer à émettre et celui déjà émis. Autrement dit, le capturer puis le stocker ou l’utiliser. « C’est dans ce contexte que nous avons créé la plateforme Federation of Reseachers in Innovation Technologies for CO 2 Transformation (FRITCO 2 T) en 2016, expose Grégoire Léonard, l’un de ses fondateurs. Nous pensons en effet qu’il faut développer de nouvelles tech- nologies et de nouveaux produits qui justifient le captage et l’utilisation du CO 2 . En clair, ne plus considérer le CO 2 comme un déchet mais bien comme une ressource valori- sable. » FRITCO 2 T regroupe quatre laboratoires de l’ULiège [voir encarts pp. 46 et 47] qui ont élaboré des expertises complémentaires dans des secteurs aussi divers que la phar- macie, les matériaux de construction, les polymères ou le génie chimique. CAPTER Avant d’utiliser, il faut capter. Une première méthode consiste à agir en postcombustion, c’est-à-dire à la sortie des che- minées d’usines et de centrales. Mais le CO 2 qui en sort est généralement mêlé à d’autres gaz (oxygène, azote, vapeur d’eau). Sa concentration dans ces rejets dépasse d’ailleurs rarement les 15%. Le récupérer représente donc un défi quand on sait qu’une centrale thermique de taille moyenne, par exemple, rejette dans l’air environ 700 m 3 de gaz – tous mélangés – par seconde. Malgré cela, des procédés de sépa- ration existent depuis plusieurs décennies. Alors, pourquoi le captage du CO 2 est-il si rare ? « D’abord parce que cela coûte de l’argent, note Grégoire Léonard. Tant que les émissions ne sont pas (ou pas assez) taxées, les indus- triels n’ont aucun intérêt à récupérer le CO 2 . Ensuite parce que cela coûte aussi… de l’énergie ! » Et de citer l’exemple d’une centrale au charbon canadienne qui fait du captage de CO 2 à grande échelle. Lorsque le système fonctionne, son rendement chute de 30% car elle doit utiliser une partie de la chaleur produite pour le faire fonctionner. Pour produire la même quantité d’électricité, elle doit donc brûler davantage de charbon. Autre système : enlever le carbone du combustible en le gazéifiant avant qu’il ne soit brûlé. C’est donc un captage en pré-combustion. On peut aussi brûler les combustibles avec de l’oxygène pur plutôt que de l’air (combustion oxyfuel). Mais il faut produire suffisamment d’oxygène… ce qui est énergétivore ! « Toutes ces techniques se valent, estime Grégoire Léonard. Mais elles ne sont pas rentables à l’heure actuelle. » Hors combustion de carburants fos- siles, des tentatives sont également réalisées. Ainsi, dans les cimenteries où 60% des émissions de CO 2 proviennent de la roche chauffée, on expérimente des procédés de fabrication où le CO 2 sera récupéré sans êre mélangé aux autres gaz du procédé. Et pour le CO 2 qui est déjà dans notre atmosphère? « C’est bien plus difficile, admet Grégoire Léonard. On ne parle plus d’une concentration à quelques pour-cents… mais à 0,04% ! Il faudra donc encore plus d’énergie et cela va coûter plus cher, mais le coût n’est pas proportionnel à la dilution. Le captage dans l’industrie, les centrales, où Le dioxyde de carbone (CO 2 ) est devenu l’ennemi à abattre. Les cher- cheurs de la plateforme FRITCO 2 T, qui réunit quatre laboratoires, essaient au contraire de le valoriser. DOSSIER HENRI DUPUIS Plein gaz 42 septembre-décembre 2019 / 274 ULiège www.uliege.be/LQJ 43 omni sciences omni sciences

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