Hassan JARFI — Docteur honoris causa — Rentrée académique 2018-19


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assan Jarfi est le père de Ihsane Jarfi, jeune homme belgo-marocain d’une trentaine d’années, enlevé le 22 avril 2012 devant une discothèque du centre de Liège, dont le corps a été découvert abandonné dans la banlieue liégeoise le 1er mai 2012, portant les stigmates des violences et des actes barbares que lui ont fait subir ses meurtriers. La Belgique découvrait alors le premier meurtre homophobe de son histoire judiciaire. Rapidement identifiés, les quatre meurtriers d’Ihsane ont été lourdement condamnés par la Cour d’assises de Liège le 23 décembre 2014, le motif aggravant de crime homophobe étant retenu dans l’arrêt.

Lors des funérailles, la famille d’Ihsane a fait montre d’une dignité absolue. Pour surmonter sa douleur, sa colère et son incompréhension, Hassan Jarfi a fait de la lutte contre l’intolérance, les discriminations et l’homophobie un combat personnel, mené sans haine et sans violence, par la seule force des convictions, de l’argumentation et du témoignage, honorant la mémoire de son fils.

Hassan Jarfi est passé par l’écrit pour essayer de comprendre, exprimer sa souffrance et ses doutes, mais aussi livrer ses espoirs. En même temps que la Fondation Ihsane Jarfi dont il suscite la création, Hassan Jarfi publie en 2014 « Ihsane Jarfi, le couloir du deuil » (éd. Luc Pire). « Un livre de douleur et de douceur. Un livre de colère et de dialogue. Une méditation sur ce qui nous échappe », préface le Pr Edouard Delruelle, par ailleurs un des membres fondateurs de la Fondation.

« Je veux qu’on tire les leçons de ce qui est arrivé à mon fils. Qu’on dépasse les discours sur les discriminations. Le militantisme doit passer à l’offensif. Ce n'est pas suffisant de dire qu'on est contre l'homophobie en accusant, par-derrière, les Arabes ou les Juifs de tous les maux de la société. Il faut affirmer que toute discrimination est inacceptable ! Dans cette fondation, j'aurai surtout un rôle de témoin. Je serai entouré de spécialistes. Cet accident m'a catapulté sur le devant de la scène. Maintenant que j'y suis, je ne compte pas me taire. Je me suis tu lorsque mon fils était en vie. Ihsane lui-même a esquivé les questions sur son homosexualité par respect pour la famille et pour la communauté. Aujourd'hui, se taire, c'est être complice de l'homophobie », explique Hassan Jarfi, multipliant depuis les prises de parole dans les écoles, les conférences publiques, le dialogue avec des autorités politiques ou confessionnelles, et les interviews dans la presse.

A travers son livre, qui est un témoignage émouvant sur les relations père-fils, Hassan Jarfi invite aussi le lecteur à un retour sur sa propre histoire, faite de souffrances personnelles : pauvreté dans son enfance, déracinement et intolérance. « Toutes ces douleurs se croisent et se répondent l’une l’autre, en un exil sans fin dont Ihsane est l’origine et l’horizon », souligne Edouard Delruelle.

Né en 1953 d’un père berbère et d’une mère arabe, Hassan Jarfi est attiré depuis l’enfance par les littératures arabe et française. Il grandit à Casablanca entre un cimetière juif, la cathédrale du Sacré-Cœur et la mosquée. Il quitte le Maroc il y a plus de trente ans pour la Belgique. Il suit les cours à l’Université de Liège où il obtient une licence en communication avant d’entamer un DEA en soufisme à l’Université d’Aix-en-Provence. Ancien professeur de religion islamique à l’Athénée Royal Charles Rogier de Liège, Hassan Jarfi a également été responsable du département des mosquées pour la communauté arabophone de Wallonie.

Créée officiellement le 6 février 2014, jour anniversaire de Ishane, la Fondation Ihsane Jarfi a pour but de lutter contre toutes les formes de discrimination et de violence, plus particulièrement celles motivées par l’homophobie. Son objet social stipule :

« La fondation a pour objet :

  • de défendre les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (ONU) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne pour combattre l’injustice, l’arbitraire, l’intolérance et l’atteinte au principe fondamental d’égalité entre les êtres humains,
  • la lutte contre toutes formes de discrimination ou de violence à l’encontre d’individus ou de groupes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelle ou supposée. »

Les différentes actions et événements de la Fondation reposent sur des axes stratégiques dans lesquels l’Université de Liège peut parfaitement se reconnaître :

  • La culture comme vecteur de lutte contre l’intolérance
  • L’interculturalité comme mise en dialogue des univers de représentation
  • La jeunesse comme espoir dans l’avenir
  • Le monde du travail comme lieu sans discriminations

En décernant un honoris causa à Hassan Jarfi, ce n’est pas seulement l’homme de paix et de tolérance que l’Université de Liège honorerait, ce serait aussi dépasser le supplice insoutenable d’Ihsane pour rappeler qu’en transigeant avec les valeurs essentielles de nos démocraties et avec les droits de l’homme, chacune de nos « différences » (sexuelles, religieuses, ethniques, physiques, sociales,…) risque un jour de devenir l’objet de la même violence. En ce sens, nous sommes tous « Ihsane Jarfi ».