Impact de la circulation atmosphérique sur la fonte de la calotte du Groenland


Illustration : ©NASA

Des chercheurs du Laboratoire de Climatologie (Unité de recherches SPHERES) de l’Université de Liège ont utilisé le modèle climatique régional MAR pour évaluer l’impact des récents changements de circulation atmosphériques enregistrés au-dessus du Groenland et l’ont confronté aux prévisions climatiques. Leur résultat est sans appel : si ces prévisions s’avèrent exactes et que les changements de circulation perdurent en été, la calotte glacière fondra deux fois plus vite que ce que les modèles globaux prévoient. Ces résultats font l’objet de deux publications dans la revue The Cryosphere(1,2).

D

epuis le début des années 2000, les scientifiques ont enregistré un changement dans la circulation atmosphérique au-dessus de l'Atlantique Nord, favorisant des conditions météorologiques plus chaudes et plus ensoleillées en été, au niveau de la calotte glaciaire du Groenland. « Ces conditions, qualifiées d’anticycloniques, ont accentué la fonte de la glace, engendrant de tristes records comme en 2012 où de la fonte avait été observée à la surface de la quasi totalité de la calotte , explique Alison Delhasse, chercheur au Laboratoire de Climatologie de l’ULiège et première auteure d’un des deux articles publiés dans la journal The Cryosphere(1). Cela étant, cet été 2018 a quant à lui été caractérisé par des passages plus fréquents de dépressions apportant d’importantes quantités de neige. » La calotte glaciaire du Groenland présente donc pour l’instant un taux de fonte moins important en comparaison aux années précédentes, ce qui contraste fortement avec les températures record enregistrées en Scandinavie et la canicule observée globalement en Europe. Si les observations de cette année tendent à rassurer, les chercheurs quant à eux s’inquiètent de ces changements fréquents dans la circulation atmosphérique qui pourraient tout à fait inverser la tendance l’année prochaine ou les suivantes, malgré ce qu’ont pu prévoir précédemment les modèles climatiques globaux (2). A Liège, les chercheurs du Laboratoire de Climatologie ont préféré adopter une autre approche, en utilisant le MAR (Modèle Atmosphérique Régional), un modèle climatique régional qu’ils connaissent bien.

Forcer les modèles

Les projections climatiques pour les dizaines d’années à venir reposent sur des modèles climatiques dits « globaux » qui représentent le climat à l’échelle de la planète. Ces simulations sont largement utilisées par les climatologues du monde entier pour prédire les changements climatiques futurs. Cependant, ces modèles ne représentent pas le changement actuel de circulation atmosphérique responsable de la répétition des anticyclones en été sur le Groenland. Ils n’en projettent pas non plus pour le futur, comme expliqué dans la deuxième étude à laquelle l’ULiège a participé - en collaboration avec l’Université de Lincoln en Angleterre - et qui fait l’objet d’une seconde publication dans la revue The Cryosphere(2). En revanche, les modèles climatiques dits « régionaux » simulent le climat à l’échelle d’une région déterminée. « Contrairement aux modèles climatiques globaux, ces modèles régionaux sont, eux, capables de représenter ces changements et leurs conséquences sur la calotte parce qu’ils utilisent des données issues d’observations tenant compte de ces changements de circulation atmosphérique, explique Xavier Fettweis, chercheur qualifié F.R.S.-FNRS et directeur du laboratoire de Climatologie de l’ULiège. »

L'objectif de leur étude était donc d'évaluer l'impact d'un changement de circulation atmosphérique (tel qu'il est actuellement observé) dans un climat plus chaud sur les projections futures du bilan de masse en surface - c'est-à-dire la différence entre les gains de masse (chute de neige) et les pertes à la surface (fonte, évaporation, ..) - de la calotte glaciaire du Groenland. Afin d’évaluer l’impact de la persistance d’anticyclones en été dans un climat plus chaud sur le Groenland, les chercheurs liégeois ont eu recourt au modèle climatique régional, le MAR, un modèle spécialement développé pour les régions polaires et conçu notamment par le Laboratoire de Climatologie de l’Université de Liège.

FETTWEIS Melting ice sheet

A gauche, estimations de la fonte de la calotte estimée par le GIEC avec une hausse des températures de 2°C. A droite, scénario identique mais qui prend en compte le changement de circulation atmosphérique.

« Comme il n’est pas possible de déterminer la circulation atmosphérique dans le futur, reprend Alison Delhasse, nous avons imposé artificiellement un réchauffement de 1 °C à 2 °C au climat actuel (données 2000 – 2016) qui a été caractérisé par un changement de circulation atmosphérique. » Dans ces conditions, les chercheurs ont pu constater que l’augmentation de la fonte de la calotte du Groenland serait au moins deux fois plus importante que ce qui a été annoncé dans le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), ce qui pourrait évidemment avoir des conséquences désastreuses se traduisant notamment par une montée des eaux très importante dans certaines régions du globe. Le GIEC a pourtant déjà tiré la sonnette d’alarme en expliquant que si nous ne respections pas les accords de la COP21*, la hausse du niveau des mers causée par la fonte seule de la surface de la calotte du Groenland pourrait atteindre 9 cm à l’horizon 2100. Imaginons maintenant les conséquences si le scénario présenté par les chercheurs du Laboratoire de Climatologie et qui prévoit une persistance dans les changements de circulation atmosphérique devait s’avérer exacte. « Il se pourrait dès lors que la part de hausse du niveau des mers provenant de la fonte de la calotte du Groenland soit doublée, conclu Alison Delhasse, portant donc la hausse du niveau des mers à plus de 18cm ! »

* La COP est une conférence internationale sur le climat qui réunit chaque année les pays signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC). L’édition 2015 (COP21) a été organisée par la France. L’Accord de Paris qui y a été adopté marque un tournant dans la lutte contre le réchauffement climatique puisqu’il engage tous les pays du monde à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à maintenir le réchauffement sous la barre des 2°C d’ici à 2100.

Référence scientifique

(1) Delhasse, A., Fettweis, X., Kittel, C., Amory, C., and Agosta, C.: Brief communication: Impact of the recent atmospheric circulation change in summer on the future surface mass balance of the Greenland ice sheet, The Cryosphere, https://doi.org/10.5194/tc-2018-65, accepted, 2018.

(2) Hanna, E., Fettweis, X., and Hall, R. J.: Brief communication: Recent changes in summer Greenland blocking captured by none of the CMIP5 models, The Cryosphere, https://doi.org/10.5194/tc-2018-91, accepted, 2018.

Contacts

Laboratory of Climatology I SPHERES Research Unit I Faculty of Sciences

Xavier FETTWEIS & Alisson DELHASSE

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