COVID-19 & (DÉ)CONFINEMENT: opinion

« Le lien social, l’un des meilleurs prédicteurs de santé »

Regard psychosocial sur l’impact du (dé)confinement


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Les retrouvailles en famille ou cercle proche : grandes oubliées du plan de déconfinement du Conseil national de sécurité ? Comment, par ailleurs, poursuivre l’objectif commun de lutte contre le virus ? Comment imaginer adopter, ensuite, de « nouveaux comportements » de distanciation ?

Benoit Dardenne, professeur en Psychologie sociale, spécialisé dans les questions d’attitudes, opinions et relations entre groupes, revient sur les dernières mesures annoncées. Dès le début du confinement, avec trois homologues de l’ULB et l’UCLouvain, il a soumis au comité scientifique des recommandations psychosociales.

Une démarche commune de l'ULiège, l'ULB et l'UCLouvain

Parmi les sciences sociales et comportementales, la recherche en psychologie sociale recèle un ensemble d’enseignements sur le fonctionnement humain qui peuvent s’avérer précieux lorsqu’il s’agit d’affronter des situations critiques. Si des cas de pandémie n’ont pas été examinés de façon expresse, et pour cause, de nombreux travaux permettent de tirer certaines leçons. D’où l’envie de mettre ces recommandations à disposition des experts médicaux et scientifiques chargés de gérer la crise.

De quelle manière ? Assez rapidement au début du confinement, Vincent Yzerbyt (UCLouvain), Laurent Licata et Olivier Klein (ULB) et Benoit Dardenne (ULiège) ont mobilisé leurs collègues pour mettre en commun les connaissances les plus pertinentes dans le contexte. Forts de ces échanges, ils ont contacté les scientifiques faisant chaque jour le point sur la situation de la crise sanitaire et leur ont envoyé dès le 28 mars un texte reprenant des conseils, des actions à privilégier pour épauler les citoyens face à cette situation inédite.

Après ce premier document, trois autres ont suivi, les 2, 7 et 14 avril, chacun porteur de messages visant à éclairer la prise de décision. Sans qu’elle ne corresponde à un mandat officiel, cette offre de service semble avoir été appréciée. Au départ d’un groupe d’une douzaine de psychologues sociaux belges francophones, l’initiative a été rejointe par des collègues académiques néerlandophones. La démarche n’a d'ailleurs pas manqué d’attirer l’attention à l’étranger que ce soit en France ou même aux Etats-Unis, où la plus importante société savante du pays, l'Association for Psychological Science, a publié les recommandations du groupe sur son site.

Entretien avec Benoit Dardenne.

L’une des idées fortes que vous avez défendues, en tant que psychologues sociaux, était la notion « d’identité collective ».

Nous les avons invités à tabler sur une idée centrale: pour être efficace, le confinement – situation inédite pour tout le monde ! – doit relever d’une stratégie collective. Sans le respect des règles, l’efficacité de la mesure risque fortement de diminuer. Il fallait ici que les citoyens réagissent en tant que groupe uni, mettant de côté leurs intérêts personnels (liés à l’âge, à la classe sociale,…).

Une démarche contre-nature pour l’être humain ?

L’humain se définit de façon très forte par ses contacts sociaux. Le groupe, le rôle social est primordial. Les liens sont cruciaux. On a donc parié sur ce mécanisme de force déjà bien présent chez l’homme et la femme : le besoin des autres. Le grand paradoxe de cette situation, est que pour lutter ensemble contre ce virus invisible, il faut, collectivement, se priver de la majorité de nos liens sociaux et du groupe. On parle d’ailleurs tout le temps de « distanciation sociale ou physique ». Le terme exact serait plutôt la « socialisation à distance » : il s’agit bien de conserver, soigner les liens, mais à distance.

Vos recommandations psycho-sociales ont-elles été suivies par les experts et, en ricochet, par les autorités politiques ?

Nous avons, a minima, été entendus. Mais je ferais ici une grande distinction entre le confinement et le déconfinement.

Pour le confinement, nous avons été heureusement surpris de l’accueil positif de nos propositions. Nous avions fortement conseillé de ne pas déshumaniser la crise, de (re)mettre de l’humain derrière les chiffres et ce fut le cas.

Je précise que ces recommandations n’émanent pas de nos propres croyances, mais sont ce qu’on appelle des « evidence based practices », soit des conclusions scientifiques basées sur des recherches empiriques éprouvées.

Qu’en fut-il pour la stratégie de déconfinement ?

Là, par contre, manifestement, la politique parfois politicienne a repris ses droits. Et a désavoué sur plusieurs points le groupe d’experts de sortie – groupe qui, par ailleurs, ne compte aucun·e représentant·e en sciences sociales et comportementales, ce qui aurait été opportun.

L’un des points de crispation du côté de la population semble être la réouverture économique avant les retrouvailles avec le noyau des proches. Votre avis ?

Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une « victoire de l’économique sur le social », comme on a pu l’entendre. Je déplore par contre que ce soit une attitude « paternaliste » qui guide cette décision. Pourquoi ? Dans les magasins, il y aura des agents de sécurité, des caméras – de quoi dissuader ceux qui ne respecteraient pas les règles, voire de les réprimer. Les réunions de quelques personnes seront bien moins « contrôlables ». Or cette infantilisation engendre un malaise. Il vaut toujours mieux, pour emporter l’adhésion et le respect, responsabiliser les gens. Et dialoguer avec eux. Nous plaidons plutôt pour un déconfinement social sans trop tarder. Attitude partagée d’ailleurs au-delà de nos regards de psychologue, par des virologues notamment.

En quoi cela est-il si essentiel de retrouver ceux qui comptent pour nous ?

La réponse est très simple : de façon générale, l’un des meilleurs prédicteurs de la santé des gens est la qualité des liens sociaux, le tissu social qu’ils et elles entretiennent. Or ici, ce lien social est mis entre parenthèses. Et la date du déconfinement social est d’ailleurs toujours au conditionnel, ce qui ne fait qu’aggraver la situation.

Celle-ci est inédite ; nous n’avons aucun point de comparaison en termes d’analyses en sciences humaines et sociales. Mais ce qui est certain, c’est qu’au même titre que l’adaptation qui nous est demandée – gestion du (télé)travail, gestion familiale en vase clos,… -, la diminution drastique de liens sociaux devient lourde, difficile, fatigante mentalement. Attention, il n’est pas nécessaire de voir un grand nombre de personnes pour se sentir bien ; le besoin fondamental consiste en des relations de qualité avec quelques personnes.

Le jour où nous serons « déconfinés », quel sera le poids des nouveaux comportements à adopter ?

Respecter des distances sociales, ce ne n’est pas naturel, pas habituel. L’être humain n’est pas « câblé » pour côtoyer ses proches à 1,5 mètre. À la fatigue mentale déjà présente due au confinement, nous devrons ajouter une vigilance de chaque instant, un auto-contrôle fort d’une série de gestes qui sont normalement anodins.

À plus long terme, pourra-t-on, collectivement et socialement, retirer du positif de cette crise ?

L’idéal serait de transformer cette crise en une occasion de changer pour un mieux. Réfléchir à ce qui nous est nécessaire, à nos comportements, nos choix, nos déplacements. Nous pourrions redéfinir les priorités de nos vies, ayant été obligés de vivre sans une série de choses. Vie familiale, travail et modes de réunions, loisirs, vacances : nous pourrions entamer une réflexion collective pour (re)découvrir et inventer de nouvelles façons de vivre. Un pied de nez à la situation qui nous est actuellement imposée par les circonstances !

md FacPsy Benoit-Dardenne SBenoît Dardenne est professeur au Département de Psychologie sociale à l’Université de Liège et membre de l'Unité de recherche facultaire PsyNCog, qui aborde de façon multidisciplinaire de l'étude de la cognition humaine. Spécialisé en Psychologie sociale, il travaille également sur les questions de psychologie environnementale.

© Photo : Monkey Business Images

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