COVID-19 et (dé)confinement : opinion

Épidémies et remèdes dans l’histoire


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Aucune période de l’histoire n’a été épargnée par l’apparition de maladies nouvelles qui déclenchent des épidémies. Pour y faire face, le peuple, les médecins et les guérisseurs ont usé de différentes techniques.

Quatre historiens, spécialistes de l’histoire de la médecine, de l’alimentation et des traditions proposent un voyage de l’antiquité à nos jours qui montre comment on espérait à différentes époques se protéger et se soigner.

Marie-Hélène Marganne, papyrologue spécialiste de l’histoire de la médecine

Les textes qui nous sont parvenus de l’antiquité gréco-romaine contiennent de nombreux témoignages d’épidémies. Marie-Hélène Marganne, papyrologue spécialiste de l’histoire de la médecine, explique par quelques exemples comment on comprend la maladie à cette époque.

Au Ier siècle de notre ère, un édit de l’empereur Tibère interdit le baiser pour raisons sanitaires. Une maladie de peau appelée mentagra (lichen) s’est répandue à Rome et dans ses environs. La mentagra fait partie des maladies dites nouvelles apparues dans la capitale à cette époque, elle affecte surtout le visage, auquel elle donne un aspect repoussant. Pour la traiter, on utilise des caustiques, qui brûlent la chair jusqu'aux os. Pline l’Ancien rapporte qu’un chevalier romain, Cossinus, s’est, lui, fait soigner, par un médecin venu expressément d’Égypte, avec une potion à base de cantharides (coléoptères) … qui l’a tué. La mentagra ne touchait que les membres masculins de la haute société qui se transmettaient le mal par le contact du baiser, d’où l’interdiction. L’édit de Tibère est cependant resté lettre morte, car, comme l'écrit le poète Martial, « même un menton affecté de lichens sordides ne préserve pas des donneurs de baisers ! »

L’antiquité a connu quelques grandes épidémies, comme la « peste » d’Athènes en 430 av. JC (sans doute le typhus), les pestilences de Syracuse en 396 et 212 av. JC, la peste antonine (probablement la variole) à partir de 165, la peste de Justinien (vraie peste) en 541…Pour lutter contre ces fléaux, on connaissait alors trois stratégies thérapeutiques : la médecine, la religion et la magie.

Dʼinspiration hippocratique, la médecine dogmatique ou rationaliste rejetait les concepts d'infection et de contagion. La maladie était due à la présence de miasmes dans l'air inspiré. Il fallait donc fuir la région infestée et suivre un régime amaigrissant pour éviter d’avoir à respirer trop fort. On recommandait aussi d’échauffer l'air, par exemple en allumant de grands feux dans les rues, et de pratiquer des fumigations. Les nantis de la Rome impériale pouvaient encore prendre de la thériaque, remède coûteux composé de plus de 70 ingrédients, dont l'opium et la chair de vipère, car, disait-on, elle empêchait l’air respiré de nuire à l'organisme.

Sinon, on recourait à la religion et à la magie, où le concept d'infection justifiait non seulement les rites de purification et l'absence de contact avec les malades infectés, mais aussi des pratiques prophylactiques, comme le port d'amulettes, la préparation de recettes, la récitation de charmes ou d'invocations et les consultations d’oracles.

Il n’était pas rare qu’on en appelle aux dieux au nom de la communauté. Au début de l’Iliade d’Homère, par exemple, alors que l’armée est ravagée par une pestilence, on voit les Grecs interroger un devin, qui recommande d’apaiser Apollon par un sacrifice. À Rome également, en 293 avant notre ère, pour faire cesser la terrible épidémie accompagnée de famine qui y sévissait depuis trois ans, le sénat romain envoie un ambassadeur chercher le dieu Asclépios à Épidaure, ramené sous la forme d’un serpent.

Au IIe siècle, au moment où la peste antonine sévit dans l’empire romain, on sait qu’un thaumaturge du sud de la Mer Noire, sorte de guérisseur sacré, a diffusé dans tous les pays de l'empire l'oracle en un vers "Phoibos aux longs cheveux chasse le nuage de la peste", texte qui a été retrouvé sur une amulette découverte lors de fouilles dans la City de Londres et dans une inscription gravée sur une maison, à Antioche de Syrie...

MHMarganneMarie-Hélène Marganne est directrice du Centre de Documentation de Papyrologie Littéraire (CEDOPAL) de l'Université de Liège depuis 2000, elle y enseigne la papyrologie, la paléographie et la langue grecque. À la fois philologue classique, papyrologue et historienne de la médecine, elle est l'auteure de nombreuses publications sur les papyrus médicaux, l'histoire de la médecine ancienne, le livre et les bibliothèques antiques.

Pierre Leclercq, historien de l’alimentation

Porter des amulettes contenant diverses plantes et épices ou prendre de la thériaque sont des tentatives de se protéger des maladies qui auront cours pendant de nombreux siècles. Pierre Leclercq, historien de l’alimentation, explique qu’on a longtemps prêté aux épices, venues d’Orient, des vertus thérapeutiques, presque magiques.

La théorie des 4 humeurs qui remonte à l’Antiquité est restée très prégnante jusqu’au XVIIIe siècle. Selon cette théorie, le corps est constitué des 4 humeurs auxquelles correspondent les 4 éléments (sang/air ; bile/feu ; bile noire/terre ; phlegme/eau) qui possèdent quatre qualités (chaud ou froid, sec ou humide), qu’il convient d’équilibrer pour rester en bonne santé, en tenant compte des tempéraments, des âges et des saisons. L’alimentation doit donc éviter tout déséquilibre des humeurs. Ainsi, par temps froid et humide, par exemple, il est considéré comme dangereux de manger du porc (humide), surtout si on est de tempérament sanguin (humide). Mais le poivre (très sec) pouvait « rattraper la sauce ».

Les épices qui arrivent d’Orient dès l’antiquité sont réputées avoir des vertus médicinales extraordinaires, qui en plus de leur exotisme, leur goût puissant et leurs prix élevés en font des produits de prestige. Jusqu’à la fin du moyen âge, on en portait en amulettes pour se protéger des maladies. De nombreuses épices entrent dans la composition de la thériaque, remède connu dès le 1er siècle, d’abord comme anti-poison, dont la composition et surtout les indications vont considérablement varier pendant le moyen âge, pour devenir une sorte de remède universel.

La fascination dont les épices font l’objet est encore renforcée par des légendes et histoires merveilleuses. La cannelle provient, dit-on, du nid du phénix, ce qui lui donne un certain pouvoir de régénérescence. Pour récolter le poivre, il faut d’abord bouter le feu à la « forêt de poivriers » pour en chasser les animaux monstrueux qui la gardent… Avec le temps, on se rendra compte qu’il ne s’agit aucunement de la réalité et les épices commenceront à perdre quelque peu de leur aura.

À la Renaissance, on utilise beaucoup moins d’épices dans la cuisine, mais la médecine continue à s’y intéresser. Au XVIIe siècle, il est courant de faire macérer dans de l’alcool des plantes médicinales comme l’absinthe, la gentiane, le quinquina... selon les recommandations du médecin. Ce breuvage, appelé apéritif, pas toujours agréable, est servi un peu avant le repas pour « déboucher » tous les organes - l’estomac, le foie, le cœur, la rate… - de manière à ce que les humeurs circulent bien. Il s’agit donc bien un médicament, sur prescription médicale. Le rituel social que nous connaissons aujourd’hui n’apparaîtra qu’au début du 19e siècle, on l’appellera alors « le coup d’avant ». Il ne prendra le nom d’apéritif qu’à partir des années 1880.

Pierre-LeclercqPierre Leclercq est historien de l’alimentation, collaborateur scientifique de l’Université de Liège. Auteur, conférencier et cuisinier-traiteur diplômé, il organise des reconstitutions de banquets historiques en Belgique, en France et en Suisse, ainsi que des cycles de conférences-dégustations, notamment à l’Archéobistrot du Préhistomuséum de Flémalle. Un prochain cycle de conférences-repas aura pour thème « Le ventre de Liège. Chronique alimentaire d’une ville industrielle du 20e siècle ».

Geneviève Xhayet, historienne des sciences et techniques

Au XIVe siècle, les épices de la thériaque faisaient toujours recette. Mais Geneviève Xhayet, historienne des sciences et techniques, spécialiste de l’histoire de la médecine au moyen âge et temps modernes, montre qu’on avait alors d’autres croyances pour éviter les maladies. Au XVIIe siècle, avec La Framboisière, on voit poindre les prémices d’une politique de santé publique.

À la suite de la peste noire de 1348, de multiples traités destinés à aider les lecteurs à se protéger de la maladie verront le jour. Ainsi, Maître Barthélemy de Bruges, publie un ouvrage en 1356 dans lequel on peut lire :

« Si l’épidémie arrive dans vos contrées, fuyez ces lieux où elle passera, et même pendant longtemps. Et abstenez-vous de tout ce qui amoindrit les forces, à savoir le trop de coït, de nourriture, surtout pendant la nuit, évitez les étuves, les bains surtout très chauds, le commerce des malades, principalement quand ils sont proches de la mort ou quand ils agonisent. Ne vous exposez pas à l’air, surtout si la lune ou le soleil luisent, et même si le temps est nuageux. Consommez des volailles et du vinaigre pour presque tous vos aliments. Frottez-vous les paumes avec du vinaigre au matin, avant de quitter la maison et ensuite, parce que l’odeur du vinaigre sur les mains, conforte le cœur. Une fois par semaine, six heures avant le repas, prenez un peu de très bonne thériaque avec un peu de vin blanc et après le repas, mangez deux noix avec deux figues et en cela réside tout remède contre l’épidémie. Par le Maître Barthélemy de Bruges ».  (trad. G.X.)

Deux siècles plus tard, le médecin français Nicolas Abraham de La Framboisière (1560-1636) s’adresse aux autorités publiques parisiennes à qui il propose une esquisse de politique de santé et d’hygiène publique dans son Gouvernement requis en temps de peste pour se garder de sa tyrannie, pour que les dirigeants prennent les initiatives adéquates en cas d’épidémie (le mot peste désigne alors en effet tout type d’épidémie).

Dans ce traité, La Framboisière explique que les épidémies sont liées à la corruption de l’air en raison de phénomènes astraux (voire des « dragons et des serpents volants »), ou d’exhalaisons putrides issues d’eaux stagnantes, de carcasses en putréfaction, que le vent dissémine. Mais la contagion, se fait aussi par les humains qui se déplacent « par visitation et pérégrinations lointaines ». Il faut donc, pour éviter qu’une épidémie se déclare, paver les rues pour éviter la boue et l’humidité, imposer un contrôle sanitaire des viandes, et empêcher les déplacements des vagabonds et les mendiants, abattre les animaux errants, etc.

Pour se protéger, chacun devra s’en remettre à Dieu, fuir les lieux infectés, assainir l’air avec du vinaigre ou en brûlant des aromates, se protéger par un linge imprégné de vinaigre et d’eau de rose ou de plantes médicinales et aromatiques placé sous les narines si on circule en ville, et bien sûr consulter un médecin, seul capable de rééquilibrer les humeurs pour lutter contre l’infection. Un bon moyen de se prémunir est de garder le moral, vivre joyeusement, et surtout « ne pas avoir crainte ni appréhension de la peste ».  

Si la maladie a frappé, il convient que les autorités désignent des médecins chargés de visiter les pestiférés et imposent au personnel soignant de secourir les malades. Ces derniers doivent être strictement confinés, avec leurs proches, chez eux ou à l’hôpital. À défaut d’hôpital, La Framboisière préconise la construction de baraquements, à l’écart des habitations, qui devront être brûlés après le décès des pestiférés. Aucun linge, aucune étoffe ne pourra sortir de maisons infectées pour être vendu.

Il faut éviter tout contact avec les malades, avec leur linge, leurs déjections ou « toutes choses issantes de leur corps ». La maison qui a abrité un malade doit être bien nettoyée, aérée et désinfectée en brûlant des aromates partout où c’est possible et autant de fois que possible. Il faudra aussi en chauler les murs et en reboucher les fissures avec du plâtre.

Genevieve-XhayetGeneviève Xhayet, historienne des sciences et techniques, s’intéresse particulièrement, en histoire de la médecine, à la médecine pratique et pharmacopée médiévale ainsi qu’au thermalisme spadois (XVIe-XVIIe s.). Parallèlement, ses travaux de recherche concernent l’histoire industrielle wallonne, notamment via la nouvelle collection de livres Histoire et Industries du Pays de Liège, codirigée avec Arnaud Péters.

Françoise Lempereur, spécialiste de la transmission du patrimoine immatériel

Faire appel aux médecins n’est cependant pas la première démarche du peuple en cas de maladie. Françoise Lempereur, spécialiste de la transmission du patrimoine immatériel, explique que pendant très longtemps, on tentait d’abord de se soigner avec des plantes ou des remèdes traditionnels, puis avec des guérisseurs et ce n’est qu’en cas d’échec qu’on recourait au médecin. Actuellement, on a tendance à suivre le chemin inverse. Quand la médecine n’apporte pas le soulagement espéré, on en appelle aux guérisseurs. Deux enquêtes menées en Wallonie montrent que ceux-ci sont très nombreux. Quant aux remèdes traditionnels, ils font désormais l’objet d’études très sérieuses par des pharmacologues.

Le patrimoine immatériel en matière de soins médicaux, avec ses pratiques traditionnelles, souvent religieuses ou magico-religieuses, soulève de fortes oppositions dans notre société moderne rationnelle. Au cours de l’histoire, la science – et parfois la religion - a refusé de reconnaître au peuple, quelquefois analphabète, un savoir, une compétence basée sur des connaissances empiriques. Aujourd’hui cependant, on constate que les chercheurs tentent de recueillir et ranimer certains de ces savoirs négligés pour créer de nouveaux remèdes et que les gens se tournent volontiers vers des guérisseurs de tout genre et des pratiques qu’on pensait abandonnées, notamment quand la médecine actuelle n’a pas donné les résultats escomptés. C’est ce qu’ont démontré, notamment, deux grandes enquêtes menées de 1997 à 2003, puis en 2012.

Première surprise, ces enquêtes ont permis de constater que malgré la laïcisation de notre société, le recours à des rituels d’origine chrétienne reste très important. Si les arbres à clous et fontaines sacrées ont presque totalement disparu, les pèlerinages, prières, cierges, ex-voto, rituels autour de la statue de la vierge ou de certains saints sont des pratiques encore très répandues, et pas seulement à Lourdes, et pas seulement par des personnes âgées. En Ardenne, on a dénombré 80 saints intercesseurs spécialisés dans la guérison et la protection des hommes et des animaux. Saint Antoine est prié pour presque toutes les maladies, sainte Rita pour les causes désespérées, sainte Geneviève pour les maladies des yeux et de la peau, saint Calogero pour le cancer…

Les enquêtes ont aussi révélé qu’au 21e s., chacun peut trouver un guérisseur à une courte distance de chez lui, ce qui signifie qu’ils sont très nombreux. Nous ne parlerons pas ici des charlatans, mais de personnes à qui est reconnu un « don », un savoir ou une compétence, et qui généralement ne réclament pas d’argent. Ces personnes ne prétendent pas guérir les maladies, mais apporter un certain soulagement. 90% des personnes qui ont fait appel à eux ont affirmé « constater un mieux », notamment en ce qui concerne la douleur. Ils utilisent principalement des remèdes empiriques à base de plantes, de produits d’origine animale ou minérale, mais aussi des prières, signes de croix, un peu de magie aussi parfois. Ils sont jeunes ou âgés, diplômés d’université ou sans qualification, issus de milieux sociaux bourgeois ou défavorisés. Et leur « patientèle » également.

S’il est difficile d’expliquer l’effet positif de certaines pratiques magico-religieuses, on ne peut nier que la nature a permis à nos ancêtres de réaliser des remèdes efficaces qui intéressent d’ailleurs de plus en plus les chercheurs en pharmacognosie qui tentent d’en recueillir les recettes auprès des tradipraticiens.

Francoise-LempereurFrançoise Lempereur est titulaire des cours de Patrimoine culturel immatériel. Dialectologue et ethnomusicologue de formation, elle a élargi son champ de recherche à de nombreux aspects du patrimoine : savoir-faire traditionnels, espaces culturels, liaison entre Patrimoine mondial et patrimoine culturel immatériel, etc.

 
 
Illustration : Guillaume Duvivier, Habit des médecins et autres personnes qui visitent les pestiférés, burin, 11,5 x 7,8 cm, 17e siècle, (c) Musée Wittert ULiège, inv. 24026

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