Pour les astrophysiciens, la « bande de Swings » désigne un ensemble de raies  particulières du spectre des comètes et l’ « effet Swings » est celui de la fluorescence sur les bandes d’émission de ces mêmes spectres cométaires. Mais pour l’université de Liège, la bande de Swings est sans nul doute celle formée par les nombreux chercheurs que Polidore Swings  a soutenus, encouragés et dont il a favorisé la carrière. Et l’effet Swings est l’incroyable dynamique qu’il a insufflée à « son » Institut d’Astrophysique de Cointe.

Nuage interstellaire NASA, ESA, and the Hubble Heritage Team (STScI:AURA)-ESA:Hubble

B

on élève lors de ses humanités, le jeune Polidore  -Pol-  Swings reçoit chaque année le Premier prix général, matérialisé par divers livres que l’heureux lauréat emportait chez lui pour lire lors des vacances. Alors qu’il termine sa seconde à l’athénée de Charleroi, c’est le coup de foudre : parmi les ouvrages reçus figure la célèbre « Astronomie populaire » de Camille Flammarion. Dans les « quelques étapes de ma vie » qu’il rédige en 1970, Pol Swings y voit la naissance de sa vocation : « Comment et pourquoi je devins astrophysicien ? Ma vocation est due à l’admirable « Astronomie Populaire » de Camille Flammarion que j’obtins comme prix d’excellence en 1922. Je dévorai cet ouvrage de la première page à la dernière durant l’été de 1922 et, dès lors, je fus bien décidé de faire l’impossible pour devenir astrophysicien ».

« Faire l’impossible » est l’expression qui convient car au sortir de la Première Guerre, l’astrophysique est plutôt balbutiante et n’est enseignée en tant que telle dans aucune université belge. Assez naturellement, il s’inscrit donc au doctorat (titre qui à l’époque sanctionne un cursus de quatre années universitaires) en sciences physiques et mathématiques à l’université de Liège. Mais il réalise son travail de fin d’études en astronomie mathématique sous la direction de Marcel Dehalu, astronome et directeur de l’observatoire de Cointe.  Et l’astrophysique ? Pol Swings va la découvrir à l’étranger : Paris, Meudon et surtout Varsovie. Du moins est-ce là qu’il va apprendre ce qui fera le « core business » de sa carrière : la spectroscopie moléculaire, même si, à ce moment, il n’est guère question de l’appliquer à l’étude des astres. Pour cela, il faut attendre 1931 et son premier séjour au Yerkes Observatory de l’université de Chicago. Il va y faire une rencontre déterminante, celle d’Otto Struve, astronome d’origine russe, émigré aux Etats-Unis après la Première Guerre mondiale. Les deux hommes vont devenir amis et poursuivre de nombreuses recherches ensemble.

Dans l’immédiat, en 1932, à son retour à l’université de Liège, Pol Swings est nommé chargé de cours et développe un laboratoire de spectroscopie qui va bientôt attirer de plus en plus d’étudiants. Ses publications sont nombreuses, sur des sujets divers, au point qu’il est difficile d’en épingler une.

Le milieu interstellaire

En 1937 pourtant, l’une d’elles doit être mise en évidence. Cette année-là (1),  avec son ami Léon Rosenfeld, Pol Swings identifie la première raie interstellaire due à une molécule (en l’occurrence CH). Une découverte majeure. « A cette époque, on ne se souciait guère du milieu interstellaire, confirme Eric Gosset,  astrophysicien, Maître de Recherches F.R.S-FNRS à l’université de Liège. On savait que des atomes isolés étaient présents mais on n’imaginait pas que ces atomes puissent se rencontrer et former des molécules. Swings étudiait alors les spectres de nombreuses étoiles lointaines dans lesquels il remarque la présence d’une fine raie d’absorption. Il est bientôt convaincu qu’il s’agit là d’une raie résiduelle due au radical CH répandu parmi la matière ténue qui occupe l’espace interstellaire. La découverte passe relativement inaperçue même si Chandrasekhar, le futur Prix Nobel, et Eddington par exemple, en relèvent toute l’importance. » Toute l’importance en effet car le jeune chercheur liégeois suggère d’attribuer cette première raie et les suivantes qu’il va découvrir à des poussières à basse température. Dans le « vide » interstellaire, les atomes pouvaient donc s’assembler pour former des molécules même si leur densité est inférieure à un atome par centimètre cube ! Et Pol Swings va plus loin : il interprète correctement ce fait comme la conséquence de la très basse température du milieu qu’il estime à environ        -270°C ! Il faudra attendre 1965 et les travaux de Penzias et Wilson sur le rayonnement cosmologique de fond à 3K pour que son intuition soit confirmée de manière éclatante. Et bien plus tard, les mesures très précises réalisées par le satellite Planck (testé à Liège !) viendront encore confirmer la justesse de la toute première mesure du fond cosmologique réalisée par Swings !

Bande et effet Swings

De nombreux travaux de Pol Swings portent sur les spectres d’objets célestes très divers, y compris le soleil et particulièrement ses taches ou les aurores boréales. Mais il est une catégorie de ces objets à laquelle le nom de Pol Swings restera à jamais attaché : les comètes.

Il s’adonne au décryptage des bandes moléculaires de leur spectre, révélant ainsi leur composition et celle de leur atmosphère. Mais il reste surtout connu pour avoir expliqué le caractère bizarre de ces spectres. « Les intensités de ces raies moléculaires sont en effet très variables, affirme Eric Gosset. Aucune explication satisfaisante n’avait alors été fournie à ce phénomène. » En 1941, Pol Swings est invité à l’observatoire Lick, en Californie. C’est là qu’il va formuler ses principales idées sur les comètes. En fait, plusieurs problèmes se posent. Tout d’abord, pour une même molécule, la distribution d’intensité n’est pas la même lorsqu’elle est observée en laboratoire ou dans la comète ; ensuite, elle varie d’une comète à l’autre ; enfin, pour une même comète, elle varie en fonction de la distance de la comète au soleil. Pol Swings va montrer que les anomalies observées dans les intensités sont dues à un phénomène de fluorescence (2) sous l’action des rayonnements solaires : c’est « l’effet Swings ». Quant à la variation en fonction de la distance au soleil, il montre que cela est dû à un effet Doppler (3) qui se manifeste à cause de la vitesse de la comète par rapport au soleil (4).

Pol Swings s’attaque aussi à résoudre une autre énigme : celle du « groupe 4050 », c’est-à-dire la présence, dans les spectres cométaires, de raies d’émission aux alentours de la longueur d’onde (λ ) de 4050 angströms (que l’on retrouve aussi en absorption dans les spectres des étoiles carbonées froides). Pendant longtemps, l’identification de la molécule responsable de cette émission a donné lieu à plusieurs hypothèses. Il va démontrer, notamment avec Boris Rosen, lui aussi chercheur à l’Institut d’Astrophysique de Liège, que le phénomène est dû à la présence d’un composé carboné polyatomique, en l’occurrence la molécule C3 (5). Dans un article intitulé Flaming Stars (6), Otto Struve lui-même, vu l’importance du travail effectué par Swings depuis de nombreuses années sur le sujet, va suggérer de nommer « Bande de Swings » la bande proche des 4050 angströms : « Because of the enormous amount of work which Professor Swings has done to advance our knowledge of the λ  4050 feature, and also because it is certain that this particular band will play an important role in astrophysics during the coming years, i think it appropriate to designate it in this article as the Swings band ».

Atlas cométaire

La moisson de données ainsi récoltées et son exceptionnelle connaissance des comètes autorisent Pol Swings à publier en 1956, avec Leo Hazer, un  « Atlas of Representative Cometary Spectra » (7). « Il reçut un accueil enthousiaste parmi les astrophysiciens, souligne Eric Gosset, car c’était une première sur le sujet. Et il est resté une référence en la matière pendant des années, d’autant que des étudiants de Pol Swings ont ensuite poursuivi son travail en le mettant à jour ». La publication d’un tel atlas avait en fait été décidée lors du Congrès de Rome de l’Union Astronomique Internationale de 1952. Un tel ouvrage n’intéressait en effet pas seulement les spécialistes des comètes mais aussi les chercheurs en physique solaire ou, par exemple, ceux s’intéressant à la physique de la haute atmosphère. Mais Pol Swings était le plus qualifié pour répondre à ce désir, ce qu’il fit en publiant son ouvrage 4 ans plus tard. Pour y parvenir, l’astrophysicien liégeois a d’abord collecté 350 clichés de spectres appartenant à 36 comètes différentes, disséminés partout dans le monde ; il les étudia ensuite pour mettre en lumière dans son atlas différentes caractéristiques des comètes : intensité des raies des émissions moléculaires, profils des bandes d’émission, distribution des émissions en différents endroits de la comète (queue, chevelure, noyau), variation des émissions moléculaires en fonction de la distance héliocentrique, etc. Bref, une véritable carte d’identité cométaire dont les astrophysiciens s’inspirèrent pendant longtemps.

Mais Pol Swings était peut-être surtout un de ces rêveurs qui ne doutent de rien et n’hésitent pas à … tirer des plans sur la comète : en 1962, il propose à l’ESRO (l’Organisation européenne de recherche spatiale, l’ancêtre de l’actuelle ESA) d’envoyer une sonde au voisinage d’une comète… En 2014, la sonde Rosetta de l’ESA se mettait en orbite autour de la comète Tchourioumov-Guérassimenko puis larguait un petit aterrisseur qui allait s’y poser….

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sa biographie 

ses publications scientifiques


Références

  1. Consideration regarding Interstellar Molecules, P. Swings, L. Rosenfeld, The Astrophysical Journal, vol. 86, 1937.
  2. La fluorescence est l’émission de lumière provoquée par l’excitation des électrons des molécules : celles-ci absorbent un photon en provenance du soleil puis restituent immédiatement cette énergie sous forme de lumière.
  3. L’effet Doppler (ou Doppler-Fizeau) est le décalage de fréquence d’une onde lorsque la distance émetteur-récepteur varie au cours du temps. En astrophysique, sa mesure permet donc d’obtenir des renseignements sur le mouvement des astres et aussi sur le mouvement de la matière à l’intérieur de ceux-ci.
  4. Complex Structure of Cometary Bands Tentatively Ascribed to the Contour of the Solar Spectrum, P. Swings, 1941, Lick Observatory Bulletin, 19, pp.131-136.
  5. Rosen and P.Swings, Carbon stars, comets and combustion phenomena, Annales d’Astrophysique, 16, 1953.
  6. Flaming Stars, O. Struve, Sky and Telescope, 1953, 12, pp. 261-265.
  7. Atlas of Representative Cometary Spectra, Publication de l’Institut d’Astrophysique de Liège, 1956.
modifié le 13/01/2023

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