La FEB lance une Chaire Business Compliance avec l’ULiège et l’UGent


Pour la première fois en Belgique, une chaire étudie la « Business Compliance », c-à-d. la question du contrôle du respect de la « conformité » aux réglementations dans le monde des entreprises et des affaires.  Si le sujet était naguère réservé à des secteurs spécifiques, tels que la banque, l’assurance et les domaines juridiques, il concerne désormais la plupart des entreprises. Cependant les cadres de conformité restent encore parfois flous, et les entreprises ne mesurent pas toujours l’importance de la « Business Compliance » et ses enjeux. Les risques, notamment juridiques, auxquelles les entreprises sont confrontées s’en trouvent augmentés.

La Business Compliance soulève de nombreuses questions juridiques, et la FEB (la Fédération des Entreprises de Belgique) a souhaité dédier une Chaire spécifique à ce domaine.  Celle-ci, inaugurée au siège de la FEB à Bruxelles le 15 mars 2023, est confiée aux professeurs Hans De Wulf, de l’UGent, et Roman Aydogdu, de l’ULiège.

Lancement de la Chaire Business Compliance

Dans cette interview, le Pr Roman Aydogdu (droit des affaires) nous explique plus longuement ce qu’est la Business Compliance, ses enjeux et pourquoi il est important de développer la recherche à ce sujet.

Que signifie la notion de « Business Compliance » pour une entreprise ? Qui en définit les contenus et quels sont les types de sanctions possibles pour une entreprise ?

Mon hypothèse de travail est que la compliance, prise en elle-même, constitue une forme de « régulation », de conduite des comportements des agents économiques, distincte et concurrente du droit étatique, de la « réglementation ». La compliance doit donc recevoir une définition qui éclaire ces points communs et différences avec le droit étatique. Une telle définition peut ouvrir la voie à une analyse des rapports entre les deux phénomènes, qui aboutissent, dans le meilleur des cas, à une forme de coopération, de complémentarité : en un mot, à une « corégulation » des comportements.

La Business Compliance est un dispositif d’organisation de l’entreprise, plus précisément : une fonction, interne à l’entreprise, de gestion du risque lié au non-respect de normes qui pourrait amener des tiers à sanctionner l’entreprise. Cette définition permet, à la fois, d’englober toutes les manifestations connues de la compliance, sans être liée, ni limitée, à ces manifestations. C’est qu’en effet la compliance s’attache au non-respect de toutes normes, quels qu’en soient l’auteur et le statut, qui pourrait amener tous tiers, quels qu’en soient l’identité et le pouvoir, à appliquer à l’entreprise toutes sanctions, quelle qu’en soit la nature.

S’il n’est évidemment pas possible pour la fonction de compliance de traiter (et même de connaître…) l’ensemble des normes applicables à une entreprise, le seul critère pertinent pour déterminer le périmètre de compliance d’une entreprise est la probabilité et l’intensité des risques encourus pour le non-respect de normes, nécessairement variable d’un secteur à l’autre et d’une entreprise à l’autre. D’un bout à l’autre du spectre, la compliance s’attache donc tant au risque de condamnation par l’Etat à une peine de prison du chef d’une infraction pénale qu’au risque de boycott commercial lancé par une ONG en raison de la violation d’une norme de soft law du droit international, en passant par la mesure administrative d’une autorité de régulation pour non-respect d’un de ses règlements délégués ou par l’action en dommages-intérêts de communautés locales dans un pays du Sud pour violation par un sous-traitant d’une multinationale d’origine hollandaise d’un code d’éthique dont celle-ci a volontairement déclaré veiller à l’application tout au long de sa chaîne de sous-traitance.

La compliance, comme dispositif d’organisation de l’entreprise, manifeste ses caractéristiques les plus saillantes dans certaines de ses activités : la rédaction de politiques, de codes de conduite, de guides et de procédures, d’une part, et la mise en place de mécanismes de surveillance, de dénonciation, d’investigation et de sanction, d’autre part, témoignent de l’existence d’un ordre normatif au sein de l’entreprise, qui présente des similitudes frappantes avec l’ordre juridique étatique. Cet ordre repose sur le pouvoir d’influence (leverage) de l’entreprise, qu’il s’agisse du pouvoir disciplinaire sur ses collaborateurs ou du pouvoir de marché sur ses fournisseurs ou clients. Pour certains théoriciens du droit, un tel ordre normatif, appuyé sur un pouvoir propre, mériterait la qualification d’ordre juridique non étatique. Ce débat théorique révèle, à tout le moins, l’étroite parenté entre la compliance et le phénomène juridique classique.

Pourquoi est-ce davantage d’actualité aujourd’hui ? Quels sont les enjeux ?

La « régulation » - dont la compliance est ainsi, avec le droit étatique, un des différents modes - ne se limite donc pas, à mes yeux, aux seuls « secteurs régulés » - qu’il s’agisse de la bancassurfinance ou des secteurs qui ont subi la vague de privatisation, libéralisation et déréglementation des années 80 et 90. Ce n’est pas que la compliance n’entretienne pas de liens avec ces secteurs régulés, tout au contraire : elle y trouve une terre d’élection et peut-être, sur un plan historique, ses premières manifestations. Ainsi souligne-t-on, aux Etats-Unis d’Amérique, la double origine de la compliance, dans le contrôle des secteurs régulés, mais également dans la politique criminelle fédérale et l’usage qu’elle fait des compliance programs pour toutes les entreprises. Ceci sans parler de l’extrême fortune que la compliance a connu dans le développement du concept de due diligence, ou devoir de vigilance, au cœur de la responsabilité sociale des entreprises, dans un contexte mondialisé où les Etats, en raison de leurs limites territoriales, sont dépassés.

La « corégulation » à l’œuvre dans la Business Compliance résulte donc de facteurs divers (volonté de l’Etat d’assurer une plus grande efficacité à son droit en se reposant, pour une partie, sur les moyens propres des entreprises ; préoccupation des entreprises, face à un environnement normatif toujours plus dense et complexe, de gérer efficacement ce risque) mais l’enjeu est toujours le même : établir un équilibre, optimal sur le plan économique et juste sur le plan politique et moral, entre l’Etat et les entreprises pour relever les défis de l’avenir, sur le plan de la stabilité financière, de la lutte contre le réchauffement climatique, de la justice sociale et du développement des pays du Sud, de la protection de la vie privée face au Big Data, etc.

Quel est le but de la Chaire Business Compliance créée par l’UGent et l’ULiège avec la FEB ?

La Business Compliance s’est imposée, ces trente dernières années, comme une dimension toujours plus importante de la pratique de la régulation dans la vie des affaires en Belgique. À ce jour, elle manque toutefois toujours d’un cadre théorique clair, qui, d’une part, la saisisse dans ses éléments constitutifs et, d’autre part, permette d’en penser l’articulation avec le droit étatique. C’est tout l’objectif de cette Chaire que de fournir un tel cadre, en faisant nôtre la formule d’Einstein : « Rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie ». L’accent sera spécialement placé sur la compliance en-dehors de la bancassurfinance, avec les nouvelles perspectives qui s’ouvrent, à travers la responsabilité sociale des entreprises, en matière de protection des droits humains, des droits sociaux et de l’environnement.

Est-ce une première en Belgique, et en Europe ?

La Chaire Business Compliance est la troisième chaire attribuée par la FEB, mais la première en matière juridique. Elle constitue le premier effort de recherche substantiel en matière de compliance, peu étudiée jusqu’ici en Belgique sur le plan juridique. La situation est la même en Europe, où le sujet, pourtant fondamental et extrêmement développé en pratique, effraie les chercheurs. Il y a deux raisons principales à cette situation, à laquelle la Chaire tente de remédier : d’une part, le sujet, précisément parce qu’il est nouveau, global, dense et protéiforme, est insaisissable si on ne l’appréhende pas avec une grille de lecture qui permette d’ordonner le réel - c’est tout l’objet de la construction d’un cadre théorique clair - ; d’autre part, la compliance est une autre façon de faire du droit, qui mobilise non seulement une approche épistémologique inhabituelle, « métajuridique », mais également une collaboration interdisciplinaire, ouverte spécialement aux sciences de gestion - de là, le double choix, qui n’est absolument pas paradoxal, de s’ouvrir à la fois aux théoriciens du droit mais également aux praticiens, juristes ou non, de la compliance.

De quels soutiens bénéficie la Chaire et comment va-t-elle être organisée en pratique ?

La Chaire a reçu un soutien fort de la FEB, qui la finance pour quatre ans, et des deux Universités impliquées, l’ULiège et l’UGent, qui ont accepté que deux de leurs professeurs y consacrent une part substantielle de leurs activités académiques pendant cette durée. Nous pouvons en outre compter sur l’enthousiasme des praticiens, par la création d’un Steering Committee composé de spécialistes de la compliance, ainsi que sur un réseau de chercheurs très mobilisés sur le plan européen et international, comme en témoigne la présence, lors de la séance de lancement de la Chaire, du Professeur Marie-Anne Frison-Roche, de Sciences Po Paris.

La Chaire a pour but de permettre, au-delà des recherches à mener par mon collègue de Gand et moi-même, la réalisation d’un doctorat en sciences juridiques conjoint ULiège-UGent, ainsi que d’organiser plusieurs évènements scientifiques au niveau national et international.

A quels publics s’adresse plus spécifiquement la Chaire ? 

Je répondrai, plaisamment : à toutes les femmes et hommes de bonne volonté - la Business Compliance en a bien besoin. Plus sérieusement, les objectifs de la Chaire nous ouvrent naturellement un double public : d’une part, les scientifiques, dans un spectre large, de la théorie du droit aux sciences de gestion ; d’autre part, les praticiens, dans un spectre tout aussi large, des compliance officers en entreprise, en passant par les pouvoirs publics, les autorités de régulation, les ONG soucieuses de saisir tous les leviers pour faire progresser leurs causes, et, plus généralement, tous les citoyens sensibles aux problématiques liées à la compliance.

Contact

Pr Roman Aydogdu

 
Photo : Signature de la Chaire Business Compliance à la FEB, Bruxelles, le 15 mars 2023, par Pieter Timmermans, CEO FEB, Anne-Sophie Nyssen, rectrice ULiège et Rik Van de Walle, recteur UGent.

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