Séance de remise des insignes de Docteurs honoris causa


Allocution et présentation des Docteurs honoris causa par M. le Professeur Albert CORHAY, Recteur de l’Université de Liège, le 25 septembre 2017.

discours recteur DHC OK

Voici arrivé le jour tant attendu. Celui de notre Dies Natalis, le jour de notre naissance. Nous sommes, dans cette Salle académique, à l’endroit précis où s’est tenue le 25 septembre 1817 la première manifestation officielle d’installation de l’Université de Liège, alors appelée l’Academia Leodiensis. Exactement à la même date un an auparavant, le Souverain hollandais Guillaume 1er d’Orange avait décidé la création dans les provinces méridionales du nouveau Royaume-Uni des Pays-Bas de trois universités, à Gand, Louvain et Liège.

Le 25 septembre 1817, la Salle académique n’était pas encore construite. Le lieu était alors occupé par l’église du Collège des Jésuites, et c’est dans celle-ci que l’Université de Liège a été officiellement inaugurée. Voyons-y déjà un premier témoignage de son pluralisme lié à son statut d’Université d’Etat !

Mais, c’est surtout un rappel de l’histoire. Car si l’Université de Liège n’a « que » 200 ans, sa naissance ici, au cœur de la Cité, sur cet ilot ceinturé à l’époque de bras de Meuse, s’inscrit dans une longue tradition intellectuelle.

Liège n’est pas une université médiévale, pourtant la source se trouve bien au Moyen Age quand les Ecoles liégeoises faisaient en Europe la réputation de la Cité, alors capitale d’un Etat, la Principauté de Liège. Au 14e siècle, le grand humaniste Pétrarque, en séjour d’études ici, qualifia Liège de « Nouvel Athènes ». Sur les routes de la Renaissance et de l’Humanisme, Liège était une étape obligée.

Après les Ecoles, le Collège des Frères de la Vie commune, installé sur ce site, a poursuivi au 15e siècle cette réputation intellectuelle en devenant le centre d’un enseignement rénové : les humanités.

À la fin du 16e siècle, les jésuites ont remplacé les Frères dans leur propre maison. Celle-ci abritera le Grand Collège en Ile, confié au clergé séculier par le prince-évêque Velbruck. Au début du 17e siècle, l’Académie anglaise succédera dans les locaux ; elle suscita tout un enseignement technique de haut niveau.

Si l’on chemine rapidement encore à travers l’histoire, on constatera que Liège doit sa première charte universitaire à Napoléon, quand celui-ci, dans son décret organisant l’Université impériale, fit de notre Cité le siège d’une Académie. C’est ainsi qu’une première Faculté, celle des Sciences, fut créée le…25 septembre 1811. Cette date est symbolique aussi puisque l’on peut la considérer comme celle du début réel des activités universitaires à Liège, il y a donc très exactement 206 ans.

Mais, c’est donc bien à Guillaume 1er d’Orange que Liège doit son Université, il y a 200 ans. Le paradoxe veut que le Souverain hollandais ne vint jamais dans « son » Université et a fortiori dans cette Salle, le Palais de l’Université achevé en 1824. Il est là, pourtant, au-dessus de nous, au centre de la fresque murale qui orne cette Salle académique, « couronnant de lauriers l'espoir de la douce patrie » .

Un anniversaire est une étape dans la vie. Quand il correspond à un chiffre « rond », il invite aussi à se rappeler notre parcours, à se poser un instant pour se remémorer d’où l’on vient, nos succès, nos doutes, nos difficultés. Nos espoirs aussi. Car si l’histoire nous enseigne d’où l’on vient, elle nous sert aussi à guider les pas suivants, instruits des expériences de vie qui nous rendent plus conscients des enjeux, des besoins et des obstacles à contourner.

C’est dans cet esprit que nous avons voulu notre bicentenaire. Un rendez-vous qui prend appui sur notre histoire commune pour mieux tracer le futur. Dans ce mouvement de balancier entre présent, passé et futur, je me suis demandé ce qui pouvait bien apparaître comme une constante, un élément permanent et fédérateur dans l’histoire de notre université au cours de ces 200 ans écoulés.

Et je pense que cette constante, c’est notre engagement sociétal, notre implication – de plus en plus forte et large – dans le développement territorial à travers les missions d’enseignement et de recherche qui sont les nôtres.

Vous me direz que ce rôle en symbiose avec son territoire n’est pas propre à Liège et qu’il est partagé par de nombreuses universités. C’est exact. Mais je crois que l’Université de Liège est celle qui en Belgique francophone s’est investie le plus profondément dans ce rôle. Et cela tient précisément, je crois, au contexte de notre naissance.

Rappelons-nous. 1817, l’Université de Liège entama ses activités. La même année, le Souverain Guillaume 1er d’Orange accueillit John Cockerill dans la région. John Cockerill, c’est le père de l’industrialisation de l’Europe. Et quelques années après, le même Souverain met sur pied la Société Générale, dont l’une des missions est de soutenir l’investissement industriel dans le jeune Royaume-Uni des Pays-Bas.

L’industrie - la finance - l’université… Voilà les trois composantes du succès, réunies pour servir un vrai projet, qualifions-le de « national », d’essor industriel, économique et intellectuel. Elles sont à la source de la formidable expansion qu’a connue notre région. Une expansion qui a marqué tout le 19e siècle, portant la Belgique, dès son indépendance en 1830, et notre région en particulier, au rang de pionnier et de leader de la prospérité en Europe et dans le monde.

Dans ce contexte, l’Université de Liège a pleinement joué son rôle. Bien sûr, elle n’accueille que quelques centaines d’étudiants durant ses premières années, mais elle affirme déjà son rôle de formation d’une élite au service d’un jeune Etat, qu’il s’agisse du Royaume-Uni des Pays-Bas d’abord puis de la Belgique. Bien sûr, elle n’accueille pas encore toutes les Facultés, mais l’ouverture à la plupart des disciplines que nous enseignons aujourd’hui intervient rapidement après sa naissance : l’Ecole des Mines, ancêtre de la Faculté des Sciences appliquées, qui forme des ingénieurs réputés dans toute l’Europe ; l’astronomie, qui est enseignée dès 1817 ; la psychologie, qui fait rapidement partie des cours de la Faculté de Philosophie et Lettres…

Je ne vais pas multiplier les exemples.

Mon propos est d’illustrer que notre Université est fortement imbriquée dans le développement du territoire, et que, dès ses origines, elle fait partie d’un projet plus large qui engage de multiples acteurs avec lesquels elle n’a jamais cessé d’interagir. Cela m’apparaît comme un élément de continuité tout au long de ces 200 ans. Plus que jamais, notre Université tient une place particulière dans notre région, et les attentes sociétales de tous ordres à son égard sont grandes, parfois vertigineuses au regard de nos moyens. De ce point de vue, l’évocation de la « tour d’ivoire » appartient définitivement au cliché facile et réducteur.

À l’occasion du Bicentenaire, les Autorités académiques ont souhaité rappeler les dimensions originelles de l’Université de Liège :

  • l’ouverture à l’innovation et à l’esprit d’entreprendre ;
  • l’engagement intellectuel et la citoyenneté active ;
  • les attentes multiples à l’égard des universités, entre rouages du développement territorial et vecteurs d’un rayonnement national et international.

C’est un fil rouge qui traverse les nombreux événements, les différentes publications et les expositions qui égrènent le calendrier de notre Bicentenaire.

C’est le même fil rouge qui nous conduit aujourd’hui à honorer trois personnalités. A des titres divers, celles-ci incarnent nos valeurs fondatrices. Leurs parcours résonnent avec le nôtre. Comme le reflet dans un miroir, ils lui donnent un visage, une histoire, et un sens renouvelé.

Madame Diome, Monsieur Serin, Monsieur Tarrach : vous êtes avec nous parce que nous nous reconnaissons en vous.

En vous décernant notre plus haute distinction honorifique, vous n’êtes pas seulement de nouveaux ambassadeurs de notre Université, mais des témoins qui donnent vie et sens au travail quotidien d’une communauté de 5000 enseignants, chercheurs et personnels administratifs en faveur de 23 000 étudiants, dans toute notre région.

D’ores et déjà, et avant même de vous remettre les insignes de Docteur honoris causa, je tiens à vous remercier.<


Présentation des Docteurs honoris causa

Fatou Diome

Chère Fatou Diome,

Quel parcours depuis votre enfance dans le petit village du Sénégal !

La clé de votre parcours, c’est la littérature. Celle que vous lisez très tôt, la littérature française de préférence. Et puis celle que vous incarnez aujourd’hui, après avoir publié une dizaine de romans et d’essais, tous salués par la critique autant pour l’élégance de la langue que pour la force du propos.

C’est que vous ne tenez pas votre langue en poche. Sur vos feuilles de papier ou devant les écrans de télévision, c’est la franchise de votre parole qui tranche. Vous avez l’art des formules percutantes, celles dont on se souvient, celles qui passent en boucle sur les réseaux sociaux. Mais ne nous leurrons pas, ces fragments ne sont pas que des citations médiatiques indignées. Ce sont les éléments qui servent un discours construit, élaboré, un discours de conviction, rude parfois, difficile à entendre parce qu’il nous renvoie aussi à nos peurs irrationnelles et à une certaine part de responsabilité.

Les intolérants, les racistes, ceux qui ne veulent pas voir le drame des migrants… Ceux qui ignorent les vertus de la culture pour élever l’homme. Ceux qui dénigrent les valeurs républicaines pour se réfugier dans les expressions extrêmes et populistes. Ceux qui malmènent l’école alors qu’elle est à la base de tout dans une société…

Votre plume est engagée et vos combats multiples. Pourtant vous ne faites pas de politique militante. A vrai dire, vous n’en avez pas besoin : les mots et les phrases que vous ciselez suffisent à vous faire entendre. Haut et clair !

Votre parcours, chère Fatou Diome, est pour nous un exemple de courage, d’obstination, d’engagement intellectuel et de citoyenneté. Pour cette raison, nous sommes fiers de vous remettre les insignes de Docteur honoris causa.

Bernard Serin

Cher Bernard Serin,

Ne seriez-vous pas notre John Cockerill du 21e siècle ?

Il y a quelques similitudes… Vous êtes un industriel, vous rachetez CMI après avoir dirigé Cockerill-Sambre, vous en faites un nouveau fleuron industriel qui s’inscrit dans la lignée de votre illustre prédécesseur, vous vous engagez activement dans le redéploiement économique de notre région par vos fonctions au sein du GRE-Liège notamment…

Ingénieur formé à l’Ecole supérieure de Physique et de Chimie de Paris, votre carrière est totalement marquée par la sidérurgie. Vous la commencez chez Sacilor, qui deviendra Usinor, Usinor qui reprendra Cockerill Sambre. C’est à ce moment, en 1998, que vous arrivez chez nous. Serin à Seraing, c’était cousu de fil de fer blanc…

Les grands mouvements dans la sidérurgie liégeoise s’accélèrent. En 2002, Usinor et Arbed forment Arcelor, un géant… Liège est un nain dans cet immense groupe. Vous quittez la direction mais vous restez à Liège. Vous reprenez la majorité des parts d’une filiale, Cockerill Mechanical Industry. Vous repositionnez l’entreprise, vous la dotez d’une nouvelle stratégie, vous misez sur les nouvelles technologies et l’innovation. Et le succès est à la clé : un groupe de 4 600 personnes désormais dans plus de 20 pays, un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros. Mais un siège social pour votre groupe à dimension mondiale qui reste situé au Château Seraing, là où tout a commencé il y a 200 ans…

La transformation de votre groupe est impressionnante, et elle se marque aussi par l’évolution du Château, une superbe réussite qui allie audace, modernité et préservation du patrimoine.

Comment expliquer ce succès ?

Sans doute à un trait de votre personnalité en tant que capitaine d’industrie. Car vous êtes persuadé que le succès d’une entreprise repose sur le succès d’une région dans son ensemble, sur sa prospérité, sur la qualité de ses infrastructures, de la formation de sa population. Vous êtes convaincu qu’il faut comprendre la culture d’une région pour y développer harmonieusement son entreprise. Et comprendre, cela implique pour vous de s’engager. De mettre la main dans les dossiers, de participer à la réflexion stratégique collective, d’apporter aussi son réseau relationnel pour accélérer les projets.

C’est ce que vous faites dans et pour notre région. Et c’est cet engagement sans failles que nous saluons en vous remettant les insignes de Docteur honoris causa.

Rolf Tarrach

Cher Rolf Tarrach,

Ce n’est pas le physicien que vous êtes que je dois convaincre de la difficulté de gérer aujourd’hui une université. C’est presque aussi complexe que de comprendre la théorie quantique… Les rôles se multiplient, les attentes aussi dans un environnement de plus en plus rapide et changeant.

Le président de l’Association européenne des universités que vous êtes depuis 2015 a parfaitement pris la mesure des défis qui se présentent aujourd’hui au monde universitaire, écarté - pour ne pas dire parfois écartelé - entre ses missions territoriales immédiates et l’universalisme intemporel des savoirs qu’il contribue à créer et transmettre.

En la matière, vous avez des expériences à partager. Spécialiste de physique quantique, vous avez enseigné à l’Université de Valence et à l’Université de Barcelone. Auparavant, vous avez mené vos recherches au CERN. C’est à l’Université de Barcelone, en tant que doyen puis Vice-recteur, que vous avez commencé à appréhender les questions de gestion des universités. Mais votre plus grand défi, de ce point de vue, fut d’accepter le rectorat de la toute jeune université du Luxembourg au début des années 2010.

Voilà une université qui était à bâtir quasiment de toutes pièces, en tout cas à développer pour amplifier ses programmes de cours et recruter à l’international tant les étudiants que les enseignants. Durant une dizaine d’années, vous vous êtes acquitté de cette tâche avec beaucoup de brio et de succès, faisant de l’Université du Luxembourg une institution jouissant d’une belle renommée au cœur d’une des capitales européennes. Les contacts entre nos deux Institutions se poursuivent puisque nous sommes l’un et l’autre parmi les fondateurs de l’Université de la Grande Région. Par ailleurs, nous avons un programme en commun dans le domaine de l’environnement à partir de notre campus à Arlon. Nous collaborons aussi dans le domaine des ressources bibliothécaires et de l’Open Access.

Votre expérience du monde universitaire et scientifique est impressionnante. Vous avez – parmi bien d’autres fonctions - présidé le Conseil espagnol de la recherche scientifique, l’European Heads of Research Councils, l’Academic Cooperation Association…Votre élection en 2015 à la tête de l’EUA couronne ce brillant parcours académique. Et il vous place aujourd’hui dans la position privilégiée d’observateur attentif de l’évolution des universités européennes.

Cher Rolf Tarrach, nous avons beaucoup à apprendre de votre expérience et de votre réussite à la tête des structures académiques, mais aussi de votre vision panoramique du rôle et des défis contemporains des universités en Europe.

Pour ces raisons, j’ai le grand plaisir de vous remettre les insignes de Docteur honoris causa de l’Université de Liège.

 

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