LQJ-274

REPRENDRE LE CHEMIN DE LA MAISON Tôt ou tard, les femmes et les enfants doivent reprendre le chemin de la normalité dans leur village, leur famille, leur quartier. La Pr Germaine Furaha, de l’université de Bukavu (RDC), insiste sur l’indispensable accompagnement des patientes qui quittent l’hôpital. « En Afrique, la femme vio- lée, considérée comme impure, est très souvent rejetée par sa communauté et même par sa famille. Il faut essayer de lui rendre confiance, de lui prouver qu’il y a encore une vie après la violence, et essayer de la rendre autonome afin qu’elle puisse participer à l’effort collectif. » La Cité de la joie, le centre de réhabilitation de Bukavu, organise à l’intention des femmes des formations (couture, petit com- merce, jardinage, etc.) pour favoriser une réinsertion, étape indispensable pour se projeter dans l’avenir. Mais comment les choses se passent-elles lors du retour dans le village ? Quelle est l’attitude des parents, du conjoint ? Qui se soucie du sort des enfants ? L’immense majorité des rescapées ne se sont pas exprimées et, à vrai dire, personne ne sait ce qu’elles deviennent après avoir quitté Panzi. Dans le cadre de la Chaire Mukwege, la Pr Germaine Furaha vient de commencer une étude sur ce “retour à la maison”. « Car il faut se pencher sur les causes et les origines de la violence, ajoute-t-elle. La vio- lence sexuelle est aussi une conséquence de l’image de la femme (au sens large) dans notre culture, trop souvent considérée comme une proie dont on peut se saisir, dont il faut se saisir. Bien sûr, le contexte de guerre favorise les exactions, les agressions, les massacres. Mais la condition de la femme aggrave tout. Nos coutumes, nos traditions sont entachées de non-respect envers les femmes et ce schéma mental sous-tend toutes les formes de violence à leur égard. Il faut donc faire évoluer les mentalités afin de rétablir le respect envers les filles. » Premier congrès de la Chaire internationale Mukwege Les 13, 14 et 15 novembre à l’ULiège. * informations, programme et inscriptions sur events.uliege.be/congress-mukwege-chair caméra et un ordinateur, permet de réaliser des opérations méticuleuses et peu invasives de microchirurgie, expose le Pr Cadière, pionnier de cette technique. Cette méthode extrêmement fiable et efficace, diminue le risque d’infec- tion et le nombre de séquelles ; elle assure aux patientes un confort post-opératoire inégalé. » Face à des pathologies inconnues en Europe, le service du Pr Cadière a dû élaborer avec le Pr Mukwege de nou- veaux types d’intervention qui ont fait l’objet de publi- cations scientifiques. « La complémentarité des actes chirurgicaux par voies basses et voies hautes augmente les chances de guérison et, c’est important, restaure les voies naturelles, gage d’une réinsertion sociale possible. » L’équipe de l’ULB, qui a déjà formé à la laparoscopie une dizaine de chirurgiens sur place, apporte également son aide pour des problèmes obstétriques ou oncologiques. L’INDISPENSABLE SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE En plus de graves blessures physiques, les survivantes ont subi un traumatisme psychologique immense. L’urgence est aussi de les aider à recouvrer une certaine sécurité psychique. « Il faut que les victimes se reconstruisent sur le plan psychologique, qu’elles retrouvent leur identité et dignité et réapprennent à faire confiance dans un envi- ronnement qui reste hautement insécurisant, résume la Pr Adélaïde Blavier. Différentes thérapies sont ainsi convoquées : la verbalisation du trauma, par exemple, c’est-à-dire la narration des faits qui provoque inévitable- ment des réactions émotionnelles et constitue en quelque sorte une catharsis libérant la parole, premier pas vers la résilience. Globalement, les thérapies cognito-comporte- mentales sont abondamment utilisées car leur efficacité est reconnue et rapide. On travaille aussi la dimension du corps par des techniques de relaxation, de pleine conscience, de respiration. » Un accompagnement qui nécessite du temps, une écoute patiente, une disponibili- té sans faille, une aisance pédagogique pour décoder les symptômes, pour rassurer. Adélaïde Blavier, qui travaille sur place avec l’ASBL “Les enfants de Panzi et d’ailleurs” [voir encart], entame à présent, à la demande du Dr Mukwege, un travail de recherche sur l’efficacité des outils thérapeu- tiques déployés à l’hôpital. Sa volonté est d’établir un protocole pour évaluer les thérapies les plus efficientes in situ , en tenant compte de différents facteurs comme l’âge de la victime, son insertion dans une famille, dans un village, la présence d’une grossesse post-agression ou non, etc. LA DIMENSION JURIDIQUE Pour Bérangère Taxil, professeur de droit international à l’université d’Angers en France et membre du comité scientifique de la chaire, aider les victimes à déposer plainte constitue une étape importante dans leur réha- bilitation. Elle insiste aussi sur la nécessaire qualification des faits d’un point de vue juridique afin de pouvoir “comprendre, prévenir, punir”. « Depuis une vingtaine d’années, les violences sexuelles sont mieux prises en compte dans le champ du droit international. Récemment [le 23 avril dernier], une résolution du Conseil de sécu- rité des Nations unies a qualifié cette forme de violence d’actes de terrorisme. Quand il y a stratégie planifiée, quand le but des agressions et des viols est de faire fuir la population, il s’agit d’un crime contre l’humanité. La violence sexuelle est également passible de poursuites pour crime de guerre ou même pour génocide. La Cour pénale internationale peut alors être compétente pour punir, tandis que l’ONU peut prendre des mesures de maintien de la paix », précise-t-elle. La justice interne peut aussi agir : au Kivu, des procès ont conduit des personnalités militaires ou politiques en prison. Mais la répression pénale n’est qu’un outil parmi d’autres. En effet, la barbarie à l’égard des populations civiles est due, en grande partie, au conflit armé lié à l’exploitation des ressources minières. « Il est de la responsabilité de l’État et de la communauté internationale d’y mettre fin », affirme la Pr Bérangère Taxil. Les enfants de Panzi et d’ailleurs L’association qui a vu le jour en 2015 se concentre sur les enfants victimes des conflits armés. Elle vise à assurer une prise en charge psychologique de ces enfants violés ou issus du viol. Vu l’urgence de la situation en RDC, un pre- mier projet a été lancé à Panzi. Pour Véronique de Keyser, à l’origine de l’ASBL, « ces enfants doivent être réparés, accompagnés, soutenus, aimés. Plus que tous les autres, on leur doit attention, soins et soutien. Mais aussi répara- tion. » L’association accompagne des enfants lorsqu’ils rentrent dans leur village car « les vio- lences faites aux femmes ou aux très jeunes filles, outre la douleur envers la personne, occa- sionnent aussi des dégâts dans le couple, dans la famille, dans le milieu social. » * www.lesenfantsdepanzi.org/fr/about/ Une soirée “Jambo”, soirée de bienfaisance au profit des enfants de Panzi, est organisée, en marge du congrès, le mercredi 13 novembre à 20h à la Cité Miroir. Réservation sur events.uliege.be/congress-mukwege-chair Comment réparer les corps ? Comment atténuer les blessures psychiques ? Lara Youssef (EPA) 12 septembre-décembre 2019 / 274 ULiège www.uliege.be/LQJ septembre-décembre 2019 / 274 ULiègewww .uliege.be/LQJ 13 à la une à la une

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