Anna Lowenhaupt Tsing est anthropologue, Professeure à l’Université de Californie à Santa Cruz et à l’Université d’Aarhus au Danemark, auteure d’un ouvrage remarqué et remarquable, The Mushroom at the End of the World. On the Possibility of Life in Capitalist Ruins (Princeton University Press, 2015 ; traduction française par Philippe PIGNARRE, préface d’Isabelle STENGERS : Le champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Les empêcheurs de penser en rond, La Découverte, 2017).

Anna Tsing 

A

nna Lowenhaupt Tsing est anthropologue, Professeure à l’Université de Californie à Santa Cruz et à l’Université d’Aarhus au Danemark, auteure d’un ouvrage remarqué et remarquable, The Mushroom at the End of the World. On the Possibility of Life in Capitalist Ruins (Princeton University Press, 2015 ; traduction française par Philippe PIGNARRE, préface d’Isabelle STENGERS : Le champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Les empêcheurs de penser en rond, La Découverte, 2017).

Ethnographie d’un champignon, le matsutake (une marchandise de grand prix au Japon), le livre d’Anna Lowenhaupt Tsing est une enquête sur les mondes que celui-ci contribue à fabriquer ou à reconfigurer. Au carrefour de la biologie, de la sociologie, de la science politique et de l’économie, mais aussi de la musique, de la danse et de la poésie, ses récits de croissance hasardeuse, de cueillette semi-clandestine et de commerce mondialisé brassent une diversité d’acteurs humains et non humains qui partagent désormais une condition commune : celle de la précarité.

Ses enquêtes constituent une ressource féconde pour une réflexion philosophique sur les façons de vivre dans des mondes abîmés. Le travail ethnographique d’Anna Lowenhaupt Tsing s’enracine dans une conscience aiguë des bouleversements écologiques. Persuadée que le schéma narratif du Progrès est désormais en bout de course et que celui de l’Apocalypse ne constitue que son double inversé et stérile, elle explore d’autres structures narratives pour raconter le présent et y déceler quelques lueurs d’espoir d’une survie collaborative multi-spécifique.

Le travail d’Anna Lowenhaupt Tsing s’inscrit résolument dans cette mutation contemporaine de l’anthropologie, qui se pratique de plus en plus comme une enquête sur les mondes et les modes d’existence. Ce « tournant ontologique » s’accompagne de l’exigence d’une réinvention permanente des pratiques d’enquête, qui requiert des anthropologues le couplage d’une attention au sensible toujours en éveil et d’une véritable imagination spéculative.

Le cheminement de son enquête conduit Anna Lowenhaupt Tsing à créer ou à réélaborer un certain nombre de concepts philosophiques fondamentaux (‘précarité’, ‘scalabilité’, ‘accumulation par captation’) à la croisée de la philosophie de la biologie, de l’anthropologie des sciences et des techniques, et des relectures féministes de la théorie marxiste de l’accumulation primitive.

Anna Lowenhaupt Tsing réussit ce rare exploit d’écrire un travail scientifique à la fois extrêmement rigoureux et érudit, qui pourtant se lit comme un roman, ce qui lui permet d’explorer des registres de sensorialité ou d’affectivité que seule la littérature permet généralement d’approcher. Pour toutes ces raisons, son travail constitue une contribution majeure à l’expérimentation de nouvelles pratiques d’enquête et de narration spéculative. L’étude de son œuvre semble désormais incontournable pour une réflexion sur les formes de savoirs critiques que requiert une situation de bouleversements anthropologiques et écologiques sans précédent.

La reconnaissance de l’originalité et de l’importance des travaux d’Anna Lowenhaupt Tsing est une façon de souligner l’insistance, au sein de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, d’un intérêt pour les nouveaux savoirs critiques. Elle est aussi l’occasion de réfléchir ensemble aux conditions qui permettent leur élaboration, ainsi qu’aux formes de résistance collaborative possibles devant les désastres écologiques qui affectent nos milieux d’enseignement et de recherche.